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Synthèse

Relire Arendt : penser encore face au vide

Le totalitarisme n’est pas mort — il s’est digitalisé, fluidifié, banalisé. Il revient. Pas en bottes, mais en interface. Tant qu’on scrollera plus qu’on ne pensera, l’Histoire continuera de se répéter — en plus propre, mais pas moins brutale. À l’heure où l’on confond gouvernance et obéissance, relire Arendt devient un acte de résistance. Pensons, ou laissons le vide penser pour nous.

Nos contradictions face aux changements climatiques

Vous pensez le totalitarisme derrière nous ? Relégué aux cauchemars du XXe siècle ? Mais Hannah Arendt, dans Les Origines du totalitarisme, n’écrit pas pour les historiens — elle écrit pour les éveillés. Ce qu’elle dissèque, c’est un mode d’anéantissement de la pensée, une logique froide qui ressurgit aujourd’hui sous des formes plus douces, plus technologiques, mais tout aussi corrosives. Relire Arendt, ce n’est pas contempler un passé révolu : c’est prendre à bras-le-corps notre présent qui se délite. 

Basée sur

La pensée de Hannah Arendt, dans Les origines du totalitarisme (1951), La crise de la culture (1961), mais aussi sur The Age of Surveillance Capitalism de Shoshana Zuboff, (Public Affairs 2019), et Résonance. Une sociologie de la relation au monde, de Harmut Rosa (La Découverte 2018)

1. Le vide comme fondation 

Le totalitarisme ne pousse pas sur un sol fertile : il prospère dans le désert. Pas celui de la guerre ou de la ruine matérielle — mais celui, plus insidieux, de la désaffiliation, du désintérêt, du désenchantement. Arendt le savait : ce n’est pas la misère qui rend les masses disponibles pour l’horreur, mais la perte d’un monde commun. Quand les mots ne signifient plus rien, quand les faits deviennent relatifs, quand plus rien ne relie les individus entre eux sinon l’angoisse ou la défiance, alors le terrain est prêt.

Le citoyen isolé n’a plus d’histoire à lui. Il ne croit plus en la politique, se méfie des institutions, ne fait plus confiance aux autres, ni à lui-même. Il n’aspire plus à comprendre : il veut appartenir. Être pris en charge. Se dissoudre dans une cause qui lui rende sa place dans l’univers. C’est ce besoin de fusion, cette panique existentielle face au chaos, que le totalitarisme vient exploiter. En offrant une explication totale, une promesse de cohérence, une illusion de clarté.

Et aujourd’hui ? Rien n’a changé. L’époque est saturée d’outils pour communiquer, mais privée de langage commun. Le citoyen contemporain défile seul dans les couloirs d’un monde où tout se vaut, où chaque opinion est une vérité, où la nuance est perçue comme une trahison. Les institutions sont perçues comme lointaines ou corrompues. Le réel est un flux, les mots sont volatils, les émotions remplacent les faits. Ce n’est pas qu’on ne sait plus ce qui est vrai. C’est qu’on ne cherche même plus à le savoir.

Dans ce climat, le retour du discours total, de la solution simpliste, du récit unificateur, devient tentant. Terriblement tentant. C’est cela, le cœur du danger : quand le vide appelle le plein, et que ce plein prend la forme d’une idéologie autoritaire, rationnelle en apparence, brutale en profondeur.

Arendt avait raison : le totalitarisme ne vient pas du fracas, mais du silence. Il ne s’installe pas par force, mais par fatigue. Par abandon.

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Françoise Tollet
Publié par Françoise Tollet
She spent 12 years in industry, working for Bolloré Technologies, among others. She co-founded Business Digest in 1992 and has been running the company since 1998. And she took the Internet plunge in 1996, even before coming on board as part of the BD team.