San Francisco, octobre 2007 : fraîchement installés en Californie, Brian Chesky et Joe Gebbia, designers industriels de formation, mais surtout sans emploi, décident d’héberger les participants d’un salon professionnel dans leur colocation pour se faire un peu d’argent. L’opération terminée, ils réalisent que leur idée leur a permis de gagner l’équivalent d’un mois de loyer, presque sans rien faire. Désireux de réitérer cette aventure lucrative, ils créent un site Web basique pour sous-louer leur appartement et invitent d’autres résidents de la ville à faire de même. Airbnb était né. En moins de dix ans, ce pionnier a fait des émules, faisant la lumière sur un modèle d’entreprise disruptif : la plateforme, que Geoff rey Parker défi nit par « sa capacité à générer des interactions créatrices de valeur entre des producteurs et des consommateurs via une infrastructure digitale ouverte et participative ». En soi, ce modèle d’entreprise n’est pas nouveau – c’est celui de l’intermédiation – mais la révolution digitale facilite désormais son adoption par le plus grand nombre.
Bienvenue dans l’ère des plateformes
En dix ans, les plateformes ont progressivement gagné tous les pans de l’économie : Uber, bien sûr, qui a révolutionné le secteur du transport citadin, les sites de covoiturage, de location d’appartements, de crowdfunding, d’échanges de services… Sans oublier les marketplaces de type Amazon qui ont su diversifier leurs offres, horizontalement (en intégrant des revendeurs tiers), mais aussi verticalement en intégrant progressivement les services amont (paiements, financements, etc.) et aval (livraison, installation, maintenance). Ces schémas d’intégration verticale ont donné naissance à des réseaux géants, à l’instar du chinois Alibaba, marketplace doublée d’une puissante banque en ligne, devenue en 2016 la première capitalisation boursière chinoise. Présentes partout, les plateformes sont les grandes gagnantes de la révolution digitale. Facebook, Google, Netfl ix… la plupart des succès de ces dix dernières années fonctionnent sur le modèle de la plateforme. Dans son rapport « Vision Technologies 2016 », Accenture souligne même que le Top 15 des plateformes représente déjà 2,6 mille milliards de dollars de capitalisation boursière dans le monde. Et la réussite de ces nouveaux acteurs a de quoi effrayer. Sociétés d’intérim, commerces de proximité, sites marchands, banques, éditeurs de musique, opérateurs de transport, fournisseurs d’énergie,
etc. Les victimes de la « plateformisation » sont nombreuses. Et même les grands groupes industriels sont menacés. La SNCF, par exemple, voit sa rentabilité fragilisée par des plateformes de covoiturage et de crowdshipping (transport participatif de marchandises) qui, sans détenir aucune infrastructure, grignotent des parts de marché sur les coeurs de métier du transporteur ferroviaire historique.
L’agilité : avantage concurrentiel de l’entreprise plateforme
Pourquoi le modèle de la plateforme est-il efficace par rapport à l’approche pipeline des entreprises traditionnelles (centrées sur une chaîne de valeur allant du produit au consommateur) ?
• Les plateformes ont renoncé à la propriété Alors que les pipelines misent sur leurs capacités à contrôler des ressources « rares » et non copiables (matières premières, procédés industriels, parc foncier, propriété intellectuelle, etc.), les plateformes opposent un modèle où l’essentiel de la valeur créée est porté par un écosystème. Principal actif de valeur de la plateforme : son réseau.
• Les plateformes ont pour obsessions la qualité des interactions entre les différentes communautés qu’elles connectent et la gouvernance de l’écosystème. Là où les pipelines sont focalisées sur l’optimisation de leurs processus et de leur accès aux ressources dans une quête incessante de baisse des coûts de production et d’efficacité.
• Enfin les plateformes sont avant tout mobilisées sur la croissance de la valeur créée pour toutes leurs communautés. Elles les font fructifier via des approches itératives et circulaires, nourries par les feedbacks permanents. Alors que dans le modèle pipeline, l’objectif est de maximiser la valeur client.
Résultat : les plateformes reportent les coûts et les pesanteurs de fonctionnement de la chaine de production sur l’ensemble de leur écosystème. Elles n’ont pas non plus besoin d’intermédiaires commerciaux ou de services de promotion centralisés (le marketing est transféré sur les utilisateurs eux-mêmes grâce aux recommandations). Elles sont plus légères, plus