En 2008, Kristen Hadeed, 20 ans, lance de manière artisanale et improvisée Student Maid, une activité de nettoyage à domicile employant des étudiants à Gainesville (Floride). Malgré son inexpérience, elle se prend au jeu, et s’ensuivent dix années de tâtonnements, d’erreurs et d’ajustements multiples, au terme desquelles Student Maid devient une affaire prospère, entre autres réputée pour développer l’autonomie et l’ingéniosité de ses équipes, malgré l’aspect peu gratifiant des tâches qui leur incombent.
Cette culture de la débrouille et de l’ingéniosité n’est pas l’apanage des petites entreprises : elle est également illustrée, selon Robert Kegan et Lisa Laskow Lahey, auteurs de
An Everyone Culture, par le fonds d’investissement Bridgewater ou le gestionnaire de multiplexes californien Decurion, deux exemples de ce que les auteurs nomment des « Deliberately Developmental Organizations » (DDO), encourageant leurs collaborateurs à se frotter au terrain – et à leurs limites – pour imaginer des solutions inventives. Mais avec 4 points cruciaux à respecter.
Donner liberté, autonomie et soutien
Pour développer agilité donc débrouillardise, les dirigeants de Student Maid, Bridgewater ou Decurion n’hésitent pas à faire sortir leurs équipes de leur zone de confort, en leur fixant des buts ambitieux ou en leur assignant des missions auxquelles elles ne sont pas spécialement préparées, afin de développer leur totale autonomie. En les jetant à l’eau, mettant en application les préceptes du « learning by doing ». Student Maid met ainsi ses jeunes recrues en situation réelle dès leur première mission, en les envoyant directement chez un client. Kristen Hadeed avait rapidement compris que jouer au « patron hélicoptère », surveillant ses collaborateurs pour vérifier voire rectifier leur travail, était contre-productif ; mieux valait lâcher prise et faire confiance aux équipes en les autorisant à expérimenter et à se tromper, sans craindre de perdre leur job en cas d’erreur. Les tâtonnements et les échecs sont effectivement bénéfiques à long terme car source d’enseignements durables. Et responsabilisation rime avec accompagnement et feedback, sans lesquels pas d’apprentissage ni de progression : les nouveaux venus travaillent en binôme avec des anciens. En cas de problème, ces derniers ont pour mission de soutenir les néophytes dans l’élaboration d’une solution – soutenir et non leur livrer la solution clef en mains !
Enfin, l’autonomie n’est pas synonyme d’improvisation libre : elle doit s’inscrire dans le cadre des principes fondateurs de l’entreprise. Student Maid ou Decurion ont pris le temps de définir et de communiquer à tous leurs va- leurs et missions fondamentales. Ces principes partagés doivent éclairer les choix en cas de dilemme ou de doute, en toute autonomie !
Cultiver la remise en question
Savoir challenger les idées reçues sur les clients, les marchés mais aussi les pratiques en interne, questionner, analyser les situations puis tester, expérimenter pour dépasser des limites considérées comme infranchissables… Cette culture de la remise en question est une brique fondamentale de la débrouillardise, et totalement en phase, entre autres, avec les comportements de la génération des Millenials. Bridgewater demande systématiquement à ses équipes d’analyser en profondeur, les raisons de tout dysfonctionnement. Chacun est habilité à interpeller ses coéquipiers sur leurs processus, comportements et modes de pensées, et ce à tous les échelons : un junior peut très bien demander à un dirigeant d’éclaircir son raisonnement s’il lui paraît infondé. La critique – bienveillante et intelligemment menée – est considérée comme constructive. Kristen Hadeed, initialement mal à l’aise avec la confrontation directe, a appris à se montrer plus claire dans ses appréciations et évaluations, en utilisant la technique des « FBI » (Feeling, Behavior, Impact) permettant d’exprimer factuellement à une personne le ressenti et l’effet qu’un de ses comportements, à corriger, a provoqué. Toute personne, chez Student Maid, peut donner un « FBI » à une autre, quelle que soit sa place dans l’équipe.
Accepter de montrer sa vulnérabilité
Selon Robert Kegan et Lisa Lahey, « dans la plupart des entreprises, presque tout le monde fait un deuxième job, non rémunéré : cacher ses faiblesses pour paraître sous son meilleur jour ».
Une perte d’énergie considérable, qui em- pêche quiconque de déployer son ingé- niosité. Au contraire, au sein de ces DDO, reconnaître ses failles est considéré comme autant d’opportunités d’amélioration et elles ne doivent pas être occultées ; encore faut-il se sentir suffisamment en confiance pour les reconnaître dans un contexte professionnel.