Un changement de logo qui coûte des millions d’euros et sera finalement annulé parce que le public le conspue. Un séminaire d’entreprise sur le leadership que tous les participants considèrent comme une farce, mais subissent sans broncher. Une énième réorganisation inspirée par une thématique managériale à la mode, mais qui ne sera jamais suivie d’effet. Dans le secteur privé comme public, les exemples de stupidité organisationnelle abondent. Selon les chercheurs Mats Alvesson et André Spicer, les organisations ont même intérêt à la cultiver… jusqu’à un certain point. Car le jeu est à double tranchant : utile à court terme, la stupidité peut provoquer de graves dommages. Dans le monde bancaire, elle a fait le lit de la crise financière de 2008.
Aux origines de la stupidité : l’économie du savoir
Dès 1962, le théoricien du management Peter Drucker a pointé une évolution majeure du marché du travail : l’apparition d’un nouveau type de salarié, le « travailleur du savoir ». Doté d’un niveau de formation élevé, son capital est intellectuel, par opposition au capital physique du travailleur manuel. Mais contrairement aux idées reçues, l’accroissement de la main d’oeuvre qualifiée ne s’est pas accompagné d’une sophistication équivalente des tâches. En réalité, aujourd’hui encore, la plupart des emplois ne requièrent guère plus de qualification qu’il y a cinquante ans. Le mythe de l’entreprise « intelligente » a été en grande partie construit pour masquer une réalité moins brillante : la nécessité d’occuper un nombre croissant de (sur)diplômés à des postes ingrats, en leur donnant l’illusion d’une montée en compétences, à grands renforts de titres ronflants. Beaucoup de « nouveaux » métiers entrent ainsi dans la catégorie des « bullshit jobs », absurdes et vides de sens, que dénonce l’anthropologue américain David Graeber. D’où le paradoxe de la stupidité organisationnelle : occuper des cohortes d’individus très éduqués à des tâches inutiles, voire néfastes… sans qu’ils résistent.
Tout le monde est concerné par la stupidité, même les plus brillants
Les experts et les meilleurs talents sont peut-être davantage exposés à la stupidité. Non seulement les personnes brillantes ne sont pas épargnées par les tâches absurdes (reporting permanent, responsabilités managériales non souhaitées, réunions inefficaces, etc.), mais elles tombent comme les autres dans les biais cognitifs les plus courants, tout en étant persuadées d’être mieux immunisées.