Big data appliqués à la gestion des ressources humaines, machine learning mis au service de la relation client, algorithmes utilisés pour prendre les décisions stratégiques, etc. Ces dernières années, le digital a gagné toutes les fonctions de l’entreprise, favorisant l’automatisation – mais aussi le contrôle renforcé – de tous les processus. Et certains phénomènes ont de quoi inquiéter : au Japon, une compagnie d’assurance vient ainsi de remplacer 25 % de son personnel par une intelligence artificielle. Le patron du fonds de pension Bridgewater envisage quant à lui d’utiliser l’intelligence artificielle pour les 3/4 de ses décisions, arguant que la machine est plus fi able que l’homme. Le digital est partout et cette hégémonie ne va pas sans poser des questions. Dont la plus importante : quel sens donner à l’Homme et son travail dans des entreprises de plus en plus dominées par la technologie ?
Reprendre confiance dans la valeur du capital humain
Si les machines sont devenues très performantes pour les tâches automatisables, elles sont encore loin d’égaler l’Homme dans de nombreux domaines. Principale faille : leur incapacité à « voir large » et à intégrer des notions non quantifiables comme le contexte social ou les caractéristiques individuelles. Un robot pourra détecter une baisse de productivité chez des collaborateurs, mais sera incapable de discerner ceux qui sont démotivés par le contenu de leurs missions de ceux qui connaissent des difficultés d’ordre personnel. Par ailleurs, les machines sont encore très peu efficaces sur le plan de l’intelligence émotionnelle : elles ne savent pas décrypter l’état psychique des individus et encore moins réconforter ceux qui traversent des difficultés. Enfin, les intelligences artificielles manquent de créativité : pour elles, impossible de créer ex nihilo. Autant les algorithmes d’AirBnb sont très efficaces pour vous orienter vers la location qui vous conviendra le mieux, autant ils seraient incapables d’avoir l’idée du couchsurfing (service d’hébergement gratuit entre particuliers). Pourtant, 67 % des dirigeants de grandes entreprises à travers le monde estiment aujourd’hui
que la technologie crée plus de valeur que les employés ! Surpris par ce chiffre, le géant
mondial du recrutement Korn Ferry a entrepris de comparer les retours sur investissements du capital physique (immobilier, technologie, outils de production, etc. ) et du capital humain. Verdict : la valeur potentielle du capital humain de l’économie mondiale représente 1,2 millions de milliards de dollars, c’est 2,3 fois plus que la valeur potentielle du capital productif. L’homme reste le principal actif stratégique des entreprises et un actif qui présente un retour sur investissement particulièrement intéressant puisque chaque dollar investi dans le capital humain rapporterait 11,25 dollars.
Faire entrer les sciences humaines dans l’entreprise
Dans une société technophile, la place prise par les méthodes scientifiques est prépondérante. Cette domination des sciences dures se vérifie dans les chiffres de l’enseignement supérieur : En France, 60 % des inscrits à l’université française choisissent les « humanités », mais les équilibres s’inversent au fil des études. Et quand 92 % des doctorants en sciences exactes voient leur thèse rémunérée, seuls 38 % de leurs camarades en sciences humaines et sociales bénéficient du même soutien. À l’embauche le constat est similaire : les jeunes diplômés au profil scientifique ou technologique trouvent un emploi beaucoup plus rapidement. Les sciences humaines et sociales seraient-elles donc vouées aux seconds rôles dans l’économie réelle ? Ces dernières années, certaines professions comme les anthropologues, sociologues, ethnologues ou historiens sont revenues sur le devant de la scène dans les grandes entreprises. Leurs atouts : elles sont formées à observer, à « agripper » le réel et à décortiquer les faits en s’intéressant aux individus, à leur façon de vivre et à leurs motivations profondes. Les données que manipulent ces experts ne sont pas des « big data », elles ne prétendent pas à l’exactitude statistique ; mais elles font émerger des comportements ou des attentes qui ne s’expriment jamais dans les études statistiques marketing. Et les réussites ne manquent pas : c’est après avoir recouru aux pratiques ethnologiques que Lego s’est sauvé d’une faillite annoncée en décidant en 2008 de se recentrer sur la brique alors même que les études marketing annonçaient son déclin irrémédiable face aux jouets plus sophistiqués. Ce sont également des analyses sociologiques qui ont convaincu le laboratoire Servier de développer des offres orientées prévention pour redorer sa réputation auprès des médecins et des patients.