Décroître pour prospérer ?
Le sujet de la décroissance s’invite depuis plusieurs années dans le débat public, suscitant l’enthousiasme chez certains et un rejet en bloc chez d’autres, qui y voient la porte ouverte à une récession économique massive, synonyme de déclin et de paupérisation. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Et à défaut de prendre parti, n’y aurait-il pas là au moins une opportunité à saisir pour lire le monde qui nous entoure sous un angle nouveau ?
C’est quoi la croissance ?
En trois mots : un indicateur mythologique
Avant de parler de décroissance, encore faut-il bien cerner ce qui se cache derrière le concept de croissance économique. Le Larousse la définit comme « l’augmentation soutenue, sur une longue période, de la production de biens et services dans un pays », précisant qu’elle se mesure depuis plusieurs décennies par le taux de croissance du PIB. Or, cet indicateur a été mis au point dans un but précis à la fin de la crise de 1929 : offrir une représentation simplifiée de la situation économique pour évaluer les effets des mesures de redressement. Sa calculatrice est très basique, elle ne dispose que de la touche « + » et se contente d’additionner les valeurs ajoutées de tout ce qui se vend, peu importe que les produits et services concernés soient désirables ou non.
De plus, le PIB ne comptabilise pas certaines formes de richesses, à commencer par celles de la nature et des activités humaines non-monétarisées. Simon Kuznets, l’inventeur du PIB, connaissait ces limites, il fut le premier à dire que le PIB ne permettait pas de mesurer le bien-être et le succès d’un pays en général et qu’il ne devrait pas servir de guide aux décisions politiques…
Las, il n’a pas été écouté et 90 ans après sa création, le PIB est devenu une obsession pour la très grande majorité des gouvernants et la croissance est aujourd’hui un mythe intouchable, synonyme de progrès, prospérité, développement, protection, innovation, pouvoir, bonheur…
Son emprise sur notre imaginaire collectif est telle qu’au lieu de considérer les conséquences de notre modèle économique sur la planète, une large part des acteurs continue de s’inquiéter des impacts du réchauffement climatique sur la croissance.
Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance,
Timothée Parrique, éditions du Seuil, 2022
La croissance est-elle toujours bénéfique ?
En trois mots : Loin de là !
Les gens vivent-ils mieux, et la société est-elle meilleure, dans les pays ayant le plus gros PIB par habitant, fruit d’une plus forte croissance passée ? Pas toujours. Si dans les pays les plus pauvres il existe une corrélation positive entre la croissance du PIB et un grand nombre de variables (espérance de vie, accès à l’éducation, pauvreté, inégalités de revenus, inégalités entre femmes et hommes, insécurité…), cette corrélation disparaît au-delà d’un seuil, franchi en France depuis les années 70. Le « progrès humain » et le « progrès social » tiennent alors à d’autres déterminants et à d’autres politiques que la richesse économique et la croissance.
Ainsi, contrairement à une croyance répandue, la croissance n’est pas synonyme de prospérité, une notion où cohabitent à la fois la richesse et le bien-être d’une société.
Par ailleurs, la croissance a de nombreux effets secondaires. Ceux sur les écosystèmes sont désormais largement connus : l’économie qui grossit dérègle le climat et épuise les ressources de la planète, approchant dangereusement sur ces deux axes d’un point de non-retour. Mais la croissance a aussi des impacts sur les sociosystèmes : comme les énergies fossiles et les matières premières, le temps humain est une ressource finie, non extensible à l’infini. Au-delà d’un certain point, le développement de la sphère économique se fait au détriment des activités non marchandes (famille, réseaux amicaux, certains loisirs, activités bénévoles, etc.) qui jouent un rôle clé dans le bien-être… De ce point de vue, la croissance peut même se révéler nuisible à la prospérité.
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