À côté du burn-out et du bore-out, deux maladies professionnelles qui naissent respectivement d’une surcharge de travail ou d’un ennui profond, voici une troisième pathologie qui émerge, elle, de la démotivation provoquée par l’absurdité quotidienne des tâches : le brown-out (littéralement « baisse de courant »). Comment identifier son apparition au coin du bureau, comment l’éradiquer de votre équipe
En août 2013, l’anthropologue David Graeber avait déjà créé la polémique en fustigeant les « jobs à la con » dans une tribune publiée dans le magazine Strike1. Il est également l’un des premiers à avoir parlé de brown-out pour désigner cette nouvelle pathologie affectant les individus qui ont perdu le sens de leur travail et qui finissent par s’en désengager radicalement. Si le concept est récent, les victimes seraient déjà nombreuses : une étude réalisée auprès de 1 000 managers en 2016 par le cabinet Corporate Balance Concept a révélé que seulement 5 % d’entre eux souffraient de burn-out alors que 40 % présentaient les symptômes du brown-out. Qu’est-ce qui rend nos entreprises si propices à la chute de tension ? Comment éviter que la pathologie ne gagne ses équipes ?
Le brown-out, fruit de la surcharge de travail et de la stupidité organisationnelle
Les premières causes sont à chercher du côté de l’évolution récente des modèles d’organisation du travail. Depuis plus d’une décennie, le durcissement du contexte économique amène en effet les entreprises à restreindre leurs effectifs ce qui se traduit par une augmentation de la charge de travail individuelle, au détriment des temps de respiration et d’échange. À la clé : un sentiment très répandu de courir après le planning et de ne plus avoir le temps de « bien faire », particulièrement déstabilisant chez les personnes les plus attachées à leurs missions. De plus en plus de travail, donc, mais aussi des tâches de plus en plus standardisées et ce, à tous les niveaux de l’entreprise. Formatées, chronométrées, dûment contrôlées, les activités quotidiennes se vident rapidement de leur sens. Les collaborateurs finissent par se désengager émotionnellement de missions réduites à une description mécanique.
Dans ce contexte, votre position de manager est particulièrement délicate : vous avez vous-même des tâches parfois dépourvues d’intérêt (réunions interminables, remplissage de tableaux de reporting, etc.), et vous devez de plus encadrer, mesurer et piloter celles des autres. Culte de la performance aidant, vous vous retrouvez à mettre la pression sur vos équipes ou à répondre à des demandes hiérarchiques qui contreviennent à vos propres valeurs.
Enfin, le brown-out semble toucher plus particulièrement les représentants des générations Y et Z. Bercés par une société qui valorise rapidité, spontanéité et immédiateté, ces derniers attendent de leur vie professionnelle un épanouissement et une concrétisation rapide de leurs projets et ambitions personnelles. Las, la vraie vie des entreprises a tôt fait de les ramener à la réalité ! Dans The Stupidity Paradox, les chercheurs André Spicer et Mats Alvesson pointent ainsi du doigt cette fâcheuse propension qu’ont les grands groupes à recruter de brillants jeunes diplômés pour les assigner ensuite à des tâches sans le moindre enjeu intellectuel (mise en page de jolies présentations Powerpoint), davantage destinées à faire de l’effet auprès des clients qu’à répondre réellement à leurs besoins.
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D’après The Stupidity Paradox: The Power and Pitfalls of Functional Stupidity at Work de Mats Alvesson et André Spicer (Profile Books, juin 2016) ; Néantreprise. Dans votre bureau personne ne vous entend crier de Marc Estat (Favre, mars 2016) ; et aussi « Après le burn-out et le bore-out, voici le brown-out » (Le Monde, octobre 2016) ; « Prevent Your Star Performers from Losing Passion for Their Work » (Harvard Business Review, janvier 2015).