Les mouvements protestataires peuvent être d’une incroyable efficacité pour bousculer les pratiques des entreprises. Une étude réalisée en 20151 auprès de 300 entreprises du classement Fortune 500 montre en effet que 22 % des entreprises ciblées par des activistes finissent par céder à leurs revendications. Dans les années 1980 et 1990, Nike a ainsi été la cible de mouvements dénonçant l’existence d’ateliers clandestins (faisant souvent travailler des enfants) qui travaillaient pour le compte de fournisseurs de la marque. Le groupe a été contraint de revoir ses pratiques d’approvisionnement et est aujourd’hui perçu comme le fabricant de vêtements américain le plus exemplaire2. De même, Walmart, après avoir été dans la ligne de mire d’un mouvement militant pour une revalorisation du salaire minimum, a annoncé une vague d’augmentations pour 1,5 million de ses employés en 2015 et 2016. Au regard de l’efficacité des mouvements de protestation pour initier ces changements, pourquoi ne pas étudier leurs méthodes pour donner un coup d’accélérateur à vos propres initiatives internes de transformation ?
Définir clairement son ambition et ses enjeux
Quelle est votre vision de l’avenir, la situation idéale à atteindre ? « Définir clairement le changement voulu est un facteur clé de succès des mouvements activistes, expliquent Greg Satell et Srdja Popovic3 du Center for Applied Nonviolent Action and Strategies. Gandhi voulait l’indépendance de son pays par rapport à la couronne britannique. Le mouvement des droits civiques visait l’adoption de textes de lois bien précis… Autant d’objectifs concrets autour desquels une stratégie pouvait s’articuler. » Et Srdja Popovic insiste sur la nécessité de définir clairement le succès recherché pour inspirer l’opinion publique : il ne suffit pas de critiquer l’état actuel des choses. L’éditorialiste du New York Times Joe Nocera fait la même observation à propos du mouvement Occupy Wall Street4, désormais moribond : « Ces manifestants avaient une multitude de revendications, dénonçant essentiellement le pouvoir d’oppression des grandes entreprises, mais ils n’ont jamais réussi à dépasser leurs slogans [pour proposer des solutions]. »
Choisir un leader pour incarner le changement
Joe Nocera relève un autre point important : « Le mouvement Occupy avait délibérément fait le choix, et était fier, de ne pas avoir de chef de file, rejetant toute forme de leadership au profit d’un consensus large, et donc vague. Or il est difficile d’arriver à quoi que ce soit sans leaders ». Dans son guide de stratégie activiste, Greg Satell et Srdja Popovic rappellent en effet qu’il est nécessaire de désigner un chef pour concrétiser le changement, relevant au passage trois caractéristiques communes à la plupart des grands leaders des mouvements de protestation les plus efficaces :
• Une vision pour l’avenir, qui puisse être partagée par une large base de sympathisants.
• Une personnalité forte, souvent marquée par une volonté, une motivation et un engagement solides.
• La maîtrise de soi : les grands leaders savent s’imposer sans abuser de leur pouvoir. Parallèlement, les experts notent que si certains mouvements ont été menés par des leaders très visibles et charismatiques, à l’image de Gandhi ou de Martin Luther King, d’autres ont été dirigés par des chefs de file plus discrets, voire des groupes de plusieurs individus, comme la Révolution de velours en Tchécoslovaquie en 1989.
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D’après How Protests Become Successful Social Movements de Greg Satell et Srdja Popovic (Harvard Business Review, 27 janvier 2017), « CANVAS Core Curriculum: A Guide to Effective Nonviolent Struggle » de Srdja Popovic, Slobodan Djinovic, Andrej Milivojevic, Hardy Merriman et Ivan Marovic (Center for Applied Nonviolent Action and Strategies, Belgrade, 2007) et un entretien avec Panikos Georgallis, How Activists Shape Business and Corporate Strategy, (Knowledge@HEC, 7 juin 2017).