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Synthèse

Une playlist pour le monde de demain

La seule chose dont vous soyez sûr, c’est de n’être sûr de rien : si les outils de décryptage et de mesure du présent se sophistiquent, le futur, même proche, semble plus que jamais incertain. Aucun problème pour Margaret Hefferman, serial entrepreneur, qui apporte quelques conseils de navigation dans le brouillard … en musique.

D’après
La seule chose dont vous soyez sûr, c’est de n’être sûr de rien :  si les outils de décryptage et de mesure du présent se sophistiquent, le futur, même proche, semble plus que jamais incertain. Aucun problème pour Margaret Hefferman, serial entrepreneur, qui apporte quelques conseils de navigation dans le brouillard … en musique.

Uncharted, How to Map the Future Together 
Margaret Hefferman, (Simon & Schuster Ltd, 2020). 

Dancing in the dark (Bruce Springsteen)  

Nous sommes passés d’un monde compliqué à un monde complexe, non linéaire et multilatéral. Un événement a priori insignifiant peut mettre à plat vos ambitions en un clin d’œil. C’est comme l’effet papillon, mais avec des ptérodactyles. Pourtant vous étiez sûr d’avoir tout planifié, vos KPI étaient au vert vif et vous aviez fait le plein de data qui confortaient vos choix stratégiques. Mais voilà l’impensable s’est produit et tout s’effondre. Souvenez-vous, en 2019 le secteur aéronautique était tout entier tendu vers l’augmentation des cadences pour faire face à des carnets de commande toujours plus épais. Rassurés par « les fondamentaux puissants du marché », les experts les plus capés d’Airbus prédisaient à la dizaine près le nombre d’avions dont aurait besoin la flotte mondiale en 2038 (39.210 très exactement). La Covid a réduit ces projections à néant. De nouvelles prévisions ont remplacé les anciennes mais le ton a singulièrement changé, le conditionnel est de rigueur et plus personne n’ose jouer les prophètes.  

Que faire ? Quittez le confort des prédictions binaires et du management scientifique de la performance pour embrasser l’inconfort des probabilités. Et soumettez vos certitudes quant à l’avenir au feu du doute, car elles sont essentiellement le reflet de vos croyances et de vos biais. 

History repeating (Shirley Bassey, James Bond theme) 

En périodes troublées la tentation est grande de regarder dans le rétro pour y trouver des raisons d’espérer. De là à se convaincre que l’histoire se répète il n’y a qu’un pas, que beaucoup franchissent en considérant que les succès ou les échecs d’hier pourront se reproduire demain ou a minima que les erreurs du passé sont autant de leçons à apprendre par cœur pour construire un futur pas trop hostile. C’est un travers vieux comme le monde mais qui mène très souvent dans le mur. Méfiez-vous du syndrome de la ligne Maginot, érigée à grands frais sur le tracé des anciennes voies d’invasion et finalement contournée par l’armée allemande de 1939. Plus généralement, prenez garde aux analogies entre les faits d’hier et ceux d’aujourd’hui, car vous risquez de privilégier les points de ressemblances et d’omettre les divergences et le poids de l’environnement.  

L’actualité récente fournit un exemple douloureux. Première étape en 2009 : face à l’annonce d’une épidémie de H1N1 plusieurs états européens décident d’éviter à tout prix une « seconde grippe espagnole » et se précipitent pour investir des sommes considérables en traitements et protections, qui seront finalement dépensées pour rien. Seconde étape en 2019 : avertis de l’arrivée du Covid, une partie ces mêmes états décident de ne pas commettre deux fois la même erreur et déclarent qu’il est urgent d’attendre avant de faire quoi que ce soit. Les deux fois, la conviction que l’histoire allait se répéter a dicté les conduites, avec des conséquences désastreuses à la clé. 

Que faire ? Ce n’est pas parce que l’histoire ne se répète pas, qu’elle est inutile ! Au contraire, il est toujours primordial de se servir des expériences du passé pour challenger nos assomptions sur l’avenir. Quand ce qui se passe vous rappelle un fait antérieur, intéressez-vous non pas aux points de convergence mais avant tout aux éléments qui pourraient mener à une issue différente, c’est eux qui vous donneront les clés pour écrire l’histoire à votre tour et pas seulement la subir.  

Scenario (A tribe called Quest) 

La planification et l’efficacité ont tellement dominé la réflexion stratégique au cours des cent dernières années qu’il est difficile de saisir aujourd’hui à quel point cela peut être dangereux si rien ne se passe comme prévu. La réduction des coûts, des calendriers et des stocks sont des mesures logiques si vous pouvez prédire exactement ce qui va se passer dans le futur, mais elles risquent aussi de priver votre organisation de marges de manœuvre et de capacité à réagir à l’inattendu. Mieux vaut privilégier l’exercice du scénario pour être flexible face à l’inattendu, soit s’exercer à imaginer des récits multiples et cohérents sur ce à quoi le monde et votre entreprise pourraient ressembler demain en fonction de plusieurs variables intrinsèques ou extrinsèques et des décisions que vous prendrez. Outre la cartographie des futurs possibles, cette démarche permet également de faire évoluer la perception des choix à effectuer et décourage activement les réflexes de pensée binaire.  

Que faire ? Lors de l’écriture d’un scénario, l’essence du travail est l’exploration, l’ouverture d’esprit et le débat. Cela exige un éventail diversifié de personnes unies par la curiosité et une solide culture du débat et de la liberté d’expression.   

Le blues du business man (Claude Dubois)

Vous trouverez pléthore de livres ou d’experts promettant de vous aider à devenir le Mozart ou le Picasso de votre secteur à grands renforts de conseils pratiques pour booster votre créativité. Au-delà de la rentabilité facile, ils soulignent cependant la fascination qu’exercent les artistes. Car eux, ils défient le temps. Leurs œuvres seront encore là dans des siècles, prêtes à émouvoir de nouvelles générations. Un rêve complètement inaccessible pour la grande majorité des organisations à l’heure où la trajectoire la plus fulgurante peut être chamboulée en quelques mois.  

Que faire ? Vous n’êtes pas un artiste mais peut-être pouvez-vous vous inspirer de certaines de leurs aptitudes spécifiques et notamment celles qui leur permet d’embrasser l’ambiguïté comme une source de découverte et d’exploration. Pour cela efforcez-vous de développer vos capacités à remarquer, à observer et à vous souvenir de tout, y compris des sensations et des plus menus faits. Vous devrez vous autoriser à rêvasser et à laisser mijoter les bribes d’informations glanées au fil de vos expériences sans savoir si elles vous serviront un jour. Pour vous encourager, sachez que Peter Brook a attendu 40 ans avant de transformer une brève rencontre en Afghanistan en une pièce de théâtre magnifique (The Prisoner).  

Il est venu le temps des cathédrales (Luc Plamondon et Richard Cocciante) 

Vous voulez construire quelque chose qui dure, alors pourquoi pas une cathédrale ? Les projets « cathédrale » se distinguent des mégaprojets par l’absence de date de fin. Ils peuvent s’inscrire sur des centaines d’années, à l’instar de la Sagrada Familia, la basilique de Gaudi dont la construction a débuté en 1882. Leurs caractéristiques fondamentales : ils sont conçus dans l’incertitude et pour l’incertitude, ils sont fondés sur des rêves et des principes, et non sur un business plan. L’exemple le plus emblématique en la matière est sans doute le CERN, qui demeure 66 ans après sa création, le plus grand centre de physique des particules du monde. 

Que faire ? Une cathédrale repose sur la communauté de ceux qui la bâtissent. Tous ceux qui y participent doivent pouvoir bénéficier d’une absolue liberté d’expérimentation et d’errance, dans la mesure où ils respectent les principes fondateurs de l’aventure. Dans cette perspective vous aurez tout intérêt à veiller à ne pas faire peser sur le groupe les contraintes ankylosantes que sont les hiérarchies strictes et la pression des retours financiers. Et n’oubliez pas qu’une cathédrale est dédiée à l’humanité ! Pensez en permanence à la légitimité de votre action et à la compréhension du public, sans laquelle l’édifice, aussi beau soit-il, s’effondrera de lui-même.  

You never know (Blackpink) 

La prédiction n’est pas une réponse à l’incertitude. La préparation si. Personne n’a vu arriver la Covid et personne ne pouvait prédire ses effets, mais certains, acteurs économiques ou pays, se sont moins fait surprendre que la plupart. Sans doute en partie parce qu’ils s’étaient préparés « à toute éventualité ».  

Cette attitude n’a rien à voir avec une gestion scientifique des risques. Elle réside tout entière dans le développement d’une forme de résilience pratique, qui suppose une vision holistique et une vigilance continuelle vis-à-vis des signaux faibles et des paradoxes qui vous entourent. Cette discipline vous conduira à accumuler progressivement une grande masse de souvenirs, qui pourront vous sembler lourds à porter, mais qui constituent votre réserve d’options et de voies de contournement en cas de pépin. Plus cette réserve est riche, plus elle les choix que vous prendrez seront robustes.  

Que faire ? Vous n’êtes pas seul maître à bord ! Efforcez-vous de favoriser une culture de la mémoire et de la vigilance dans votre entreprise et plus largement dans l’ensemble de votre écosystème car plus les capteurs sont larges, plus les signaux reçus sont susceptibles d’être variés et donc riches d’enseignements. 

We don’t need another hero (Tina Turner)  

Alors, quel leadership pour naviguer dans l’incertitude ? Vous serez toujours des pilotes et des décisionnaires. Vous aurez toujours à faire preuve d’autorité morale lors des choix difficiles, et savoir résister aux charmes rhétoriques des rêves simplistes. Mais votre mission consistera toujours plus à écouter et à donner la parole, à structurer et encourager l’exploration, à tirer le meilleur des échecs et des victoires, à questionner et à étayer la légitimité de l’action collective… Vous devrez aussi développer vos capacités à concilier l’efficacité et la robustesse, le juste à temps et le « au cas où », vos convictions et votre propre vulnérabilité. 

Que faire ? Le futur est aussi une question de personnes, d’amour et d’amitié. Cela signifie qu’il vous faudra laisser plus de temps aux relations humaines pour développer des liens de confiance et de respect qui pourront résister aux assauts des crises. 

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Dominique Fidel
Publié par Dominique Fidel
Après des études de civilisationniste et 10 années dans la communication corporate, Dominique partage aujourd’hui sa plume entre la vulgarisation scientifique, la communication institutionnelle, les chroniques littéraires et… Business Digest.