Thanks for the feedback
Les entreprises consacrent énormément de temps et d’argent à former leurs dirigeants, leurs managers et leurs employés afin qu’ils améliorent la qualité de leurs feedbacks (pour leurs subordonnés, leurs collègues, leurs patrons… dans la logique des fameuses évaluations 360°). Mais elles négligent totalement un élément crucial du processus : la façon dont le feedback est reçu !
• Concentrer ses efforts sur la façon de donner un feedback est bien, mais se pencher sur la façon dont il est reçu est le facteur clé d’un feedback réussi.
• Le feedback est toujours difficile à entendre, car il déclenche des émotions négatives puissantes. Un feedback réussi repose aussi sur un savoir faire en déminage.
• Bien le recevoir exige de ne pas rester passif : posez des questions, travaillez activement à accroître le niveau d’information transmise et apprendre à poser des limites.
D’après Thanks for the feedback: The science and art of receiving feedback well
Douglas Stone et Sheila Heen (Viking, mars 2014).
Quelle que soit l’origine des feedbacks (d’un patron, d’un subordonné ou d’un collègue), savoir les recevoir est une qualité essentielle pour progresser. Selon Sheila Heen et Douglas Stone, les individus qui savent tirer profit des feedbacks constructifs basés entre autres sur des « axes d’amélioration » sont in fine plus aptes à progresser, plus agiles, plus sereins et plus performants. Au cours de leurs recherches, Sheila Heen et Douglas Stone n’ont pourtant guère rencontré d’individus (dirigeants, managers ou employés) experts dans l’art de recevoir les feedbacks. Une nouvelle compétence à acquérir ?
Recevoir un feedback, un moment pénible pour tout le monde
Peu importe à quel point un feedback négatif est objectif et constructif, il demeure toujours difficile à entendre car empli d’une forte charge émotionnelle.
Le feedback ?
Bien au-delà de l’évaluation annuelle d’un collaborateur par son manager, le feedback inclut toute remarque ou critique négative/positive destinée à aider un individu à progresser. Il peut par exemple prendre la forme de remerciements et de commentaires verbaux ou non, directs ou implicites, formels ou informels.
La réussite d’un feedback dépend (surtout) de celui qui le reçoit
Selon une enquête réalisée par Globoforce en 2011 aux États-Unis, 55 % des sondés estiment que les résultats de leurs évaluations sont injustes ou inexacts, 25 % reconnaissant même que ce processus est ce qu’ils redoutent le plus dans leur vie professionnelle. Rien d’étonnant, les individus sont rarement satisfaits de leurs conversations de feedback et la plupart en sont franchement mécontents : 63 % d’entre eux jugent le processus décevant. Mais, pour Douglas Stone et Sheila Heen, consacrer toujours plus d’efforts à améliorer la manière dont sont donnés les feedbacks dans les entreprises ne règle pas le problème : c’est en fait surtout de ceux qui le reçoivent que dépend la réussite du processus.
Les réactions affectives bloquent le processus
Bien qu’utile, le fait de recevoir un feedback (même sincère et constructif) entre souvent en conflit avec le besoin de se sentir accepté et respecté. Quel que soit le niveau hiérarchique, les feedbacks soumettent en effet ceux qui les reçoivent à un déferlement d’émotions qui les rendent incapables d’accepter, et encore plus d’appliquer, les suggestions qui auraient pu les aider à progresser. Pour Douglas Stone et Sheila Heen, trois types d’éléments déclenchent ces émotions :
1. les entorses à la vérité : quand certains éléments du feedback sont faux ou inexacts ;
2. les aspects relationnels : le feedback dépend beaucoup de la relation que vous avez avec la personne qui vous le donne. Si par exemple vous avez le sentiment qu’elle n’a aucune crédibilité sur le sujet en cause ou qu’elle est mal placée pour vous critiquer, vous rejetterez les observations que vous auriez acceptées si elles avaient été formulées par quelqu’un d’autre ;
3. les atteintes à l’identité : lorsque le feedback porte atteinte à l’estime de soi.
Comment gérer les relations négatives ?
Pour mieux recevoir le feedback, efforcez-vous de gérer rationnellement ces émotions en adoptant un état d’esprit plus curieux et plus analytique.
Passer du « ce n’est pas vrai » au « dites m’en plus »
Quand votre interlocuteur vous explique en quoi vous pourriez vous améliorer, la réaction instinctive consiste à nier la crédibilité du message. Il est plus naturel de s’attacher à chercher l’erreur que ce qui pourrait vous rendre service. Surmonter cette réaction défensive naturelle suppose un sérieux effort cognitif. Chaque fois que cela vous arrive, prenez-en conscience, puis efforcez-vous de dépasser cette réaction initiale pour adopter une attitude plus analytique, en posant les questions suivantes :
• sur quelles données ou observations ce feedback repose-t-il ? Qu’est-ce que vous voyez et que je ne vois pas, moi ? Où se termine l’observation, où commence l’interprétation ?
• que me conseillez-vous de faire ? Comment ? Pouvez-vous me dire précisément ce que je devrais dire, ou faire ? Pourriez-vous me montrer, me donner un modèle, un exemple ?
Ne pas oublier que la conversation s’inscrit dans une relation
Les relations entre la personne qui donne le feedback et celle qui le reçoit contribuent à déclencher des émotions dévastatrices. Pour mieux gérer cet aspect du problème, distinguez le « quoi », c’est-à-dire le contenu du message, du « qui », c’est-à-dire ce que vous pensez de la personne qui vous le délivre. Sheila Heen et Douglas Stone insistent sur la nécessité de prendre du recul sur le processus.
1. Premier pas de recul : réfléchissez à ce qui vous différencie de votre interlocuteur en termes d’attentes, de tendances et de caractère. Il s’agit de sortir de votre propre perspective afin d’observer votre système relationnel de son point de vue.
2. Second pas de recul : demandez-vous comment vos rôles respectifs façonnent la conversation. Si ce n’est pas parfaitement clair, cela crée des tensions. Quels sont les rôles respectifs en présence et en quoi participent-ils au feedback ? Dans ce que vous entendez, quelle est la part de responsabilité qui incombe à vos rôles, à vos personnalités et à votre performance ?
3. Troisième pas de recul : réfléchissez à tous les autres acteurs, à l’environnement, au timing, à la politique de l’entreprise et aux stratégies personnelles qui peuvent contribuer au problème qui se pose entre vous et votre interlocuteur.
Distinguer remerciement, coaching et évaluation
L’appréciation, le coaching et l’évaluation sont trois formes de feedback nécessaires et utiles, mais chacune doit se faire au moment et dans le lieu adéquats. Les difficultés surgissent souvent lorsque ceux qui donnent le feedback et ceux qui le reçoivent assignent à la discussion des objectifs différents. Les uns s’attendent par exemple à être remerciés d’avoir consacré pour leur engagement dans un projet, tandis que leurs interlocuteurs considèrent la conversation comme une évaluation pure et simple. Un manager tente de prodiguer des conseils, mais ces derniers sont pris pour une évaluation… Sheila Heen et Douglas Stone recommandent d’insister pour ne s’en tenir qu’à une seule forme de feedback par séance, en s’assurant que les deux parties soient d’accord sur la nature et le but de la conversation.
Recevoir du feedback n’est pas une fonction passive
Apprenez à encourager le type de feedback qui peut véritablement vous aider et à refuser le feedback inutile, voire nuisible.
Obtenir davantage d’un feedback
Les cinq démarches suivantes peuvent vous y aider :
1. bien connaître ses propres tendances : identifiez la façon dont vous réagissez au feedback et modifiez votre comportement en conséquence. Par exemple, si vous avez tendance à être trop sévère avec vous-même, vous risquez d’exagérer la gravité de la critique qui vous est faite. Attendez alors d’être dans un état émotionnel plus stable avant de réagir ;
2. opter pour le coaching. Tout le monde a besoin non seulement d’évaluation, mais aussi de coaching. Mais il n’est pas toujours facile de les distinguer : la plupart des individus ont tendance à entendre le conseil le mieux intentionné du monde comme une évaluation. « Se sentir jugé déclenche les alarmes identitaires et l’anxiété qui en résulte peut anéantir toute chance d’apprendre quoi que ce soit », écrivent les auteurs. Efforcez-vous d’entendre le feedback comme un conseil potentiellement utile, ouvrant de nouvelles perspectives, et non comme une condamnation de ce que vous avez pu faire par le passé ;
3. décrypter le message. L’utilité du feedback n’est pas toujours immédiatement compréhensible. Avant de l’accepter ou de le rejeter, commencez par l’analyser pour mieux le comprendre.
4. demander ponctuellement du feedback sur un aspect bien précis de votre travail. Si vous l’avez sollicité ou orienté, vos mécanismes de défense se déclencheront moins. Ne l’attendez donc pas, posez régulièrement des questions ciblées concernant votre performance, afin d’obtenir un feedback assimilable.
5. expérimenter. L’analyse ne suffit pas toujours pour déterminer si le feedback qui vous est donné peut vous aider. Essayez d’appliquer le conseil qui vous est donné, même si vous êtes sceptique, et voyez ce qui se passe quand vous l’appliquez. « Si cela marche, c’est parfait ! Sinon, vous pouvez renouveler votre tentative en procédant un peu différemment, ou encore décider de mettre fin à l’expérience. »
Refuser le feedback destructeur
Il est naturel d’interrompre un processus de feedback qui ne vous apporte rien. Poser des limites est essentiel à votre bien-être et à la qualité de vos relations. Mais comment déterminer si le feedback en cours est destructeur ou juste difficile à entendre ? Certains symptômes se détectent facilement :
• votre personnalité est attaquée, non votre comportement ;
• vous êtes victime d’acharnement : vous avez compris le message, vous l’avez clairement expliqué à votre interlocuteur, mais ce dernier continue à vous répéter la même chose ;
• l’exigence du toujours plus : « Certaines personnes sont toujours à l’affût d’un nouveau problème à régler, notent les auteurs. Ils trouvent toujours quelque chose. Pire encore, c’est l’acte même de vous dire ce qui ne va pas qui les motive. » ;
• vous recevez non des avertissements, mais des menaces. Un avertissement est une tentative, en toute bonne foi, d’expliquer d’éventuelles conséquences légitimes, alors que le but d’une menace est de vous faire peur ;
• c’est toujours vous, et uniquement vous, qui devez changer. Vous êtes le seul et unique responsable de tout problème entre vous et votre interlocuteur, quelles que soient vos excuses, votre engagement et les changements que vous adoptez ;
• vos opinions et impressions personnelles ne sont pas prises en compte. Votre interlocuteur n’est pas prêt à modifier la façon dont il délivre son feedback, formule ses demandes et prodigue ses conseils afin de tenir compte de la façon dont cela vous affecte.
Mieux recevoir le feedback suppose d’apprendre à faire le tri et à en extraire tout ce qui peut vous être utile. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille accepter et appliquer tous les messages que vous recevez. Si vous avez pris le temps d’analyser le feedback, si vous avez « essayé » et réalisé qu’il ne vous apportait rien, alors posez une limite. Pour que ces interactions, particulièrement sensibles, soient aussi constructives que possible, soyez ferme, reconnaissez les bonnes intentions de votre interlocuteur, mais exprimez-vous clairement quand son feedback ne vous apporte rien d’utile.
Douglas Stone et Sheila Heen enseignent le droit à la Harvard Law School ; ils ont par ailleurs cofondé le cabinet Triad Consulting Group. Parmi leurs nombreux clients, citons la Maison-Blanche, Citigroup, HSBC et Univeler. En 2010, ils ont publié avec Bruce Patton Difficult Conversations: How to Discuss What Matters Most (Penguin).
Le feedback ? Bien au-delà de l’évaluation annuelle d’un collaborateur par son manager, le feedback inclut toute remarque ou critique (négative ou positive) destinée à aider un individu à progresser. Il peut par exemple prendre la forme de remerciements et de commentaires verbaux ou non, directs ou implicites, formels ou informels.
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