Aussi robustes que vivants…
Dans un quotidien marqué par une succession de crises socio-économiques, la seule certitude est d’aller vers toujours plus d’incertitude. Notre réaction ? Contrôler, mesurer, optimiser tout ce qui peut l’être. On est sûr que c’est la bonne attitude ?
Biologiste spécialisé dans le monde végétal et directeur de l’Institut Michel Serres, Olivier Hamant suggère une autre attitude face au monde fluctuant qui nous attend. Il propose de s’inspirer du vivant pour cultiver la robustesse, à rebours de la performance.
Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant,
de Olivier Hamant, Tracts Gallimard, 2023 et La troisième voie du vivant, par Olivier Hamant, Odile Jacob, 2022.
I – Mortelle performance
En 1972, le rapport Meadows a prédit un basculement socio-économique sans précédent pour la première moitié du XXIe siècle, pointant les risques d’une croissance exponentielle dans un monde fini. Cinquante ans après sa première publication, force est de constater que le texte n’a rien perdu de sa force, au contraire. Car ce qui relevait alors de la prévision à long terme est devenu une urgence brûlante.
Les prédictions faites pour les cinquante années à venir sont d’emblée caduques ; le futur est devenu une notion obsolète. Nous sommes entrés dans un monde turbulent et déroutant, susceptible d’accoucher à tout instant de crises sociales, écologiques et géopolitiques massives et totalement inattendues. De quoi faire peur, il faut bien l’avouer.
Et en situation de crainte, le réflexe primaire est de se raccrocher aux croyances les mieux ancrées, tel aujourd’hui le mythe de la performance et de la croissance.
Pour s’en convaincre il suffit de regarder du côté des réponses apportées au changement climatique. Croissance verte, smart cities, développement durable, transition… Aucun de ces concepts ne questionnent réellement l’injonction de performance. Ils continuent même à la légitimer et à la décliner sous la forme d’une course à l’optimisation, essentiellement via des gains d’efficacité et d’efficience. Autant de pistes qui pourraient fonctionner dans un monde stable et abondant en ressources. Mais elles se révèlent être des impasses, voire contreproductives dans un environnement fluctuant qui connait en outre de fortes tensions sur certaines matières premières.
Les tentatives d’optimisation génèrent ainsi de considérables effets rebonds. Focalisés sur la réduction des consommations d’énergie et des émissions de GES, nous imaginons des solutions alternatives qui, parce qu’elles sont plus efficientes, deviennent plus attractives, entrainant un usage plus large, voire créant de nouveaux besoins.
En bout de ligne, notre comportement conduit à un accroissement global des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation de ressources. Comptons aussi avec les conséquences du réductionnisme : concentrés sur un seul problème (la décarbonation, par exemple), nous en créons d’autres ailleurs, qu’il s’agisse de destruction de la biodiversité, de consommation de ressources rares, de pollution, ou de dégradation des conditions de travail.
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