Professeur à l’IESEG, João Vieira da Cunha s’est intéressé à la pression exercée sur les employés et les managers de proximité. Notamment dans la vente, cette pression peut conduire les managers et leurs équipes à déformer les chiffres de reporting pour tenir leurs objectifs. La stratégie de l’entreprise repose alors sur des données biaisées, calculées pour impressionner… plutôt qu’informer !
Atteindre ses objectifs, vendre plus que ses concurrents, voire dépasser ses collègues… voilà le quotidien de tout commercial. Une course aux chiffres souvent encouragée par la direction, employés et managers touchant des primes pour objectifs atteints. Mais, dans ce contexte, les chiffres de vente qu’ils com- muniquent sont-ils toujours conformes à la réalité ? Et ces commerciaux sont-ils vraiment motivés par les incitations financières ? Non, répond João Vieira da Cunha qui montre que la pression qui pèse sur les équipes commerciales est bien souvent contre-productive.
De l’impératif de « nourrir le monstre »
« Les employés se plaignent de devoir ‘nourrir le monstre’ : alimenter les logiciels de gestion de la relation client (CRM), explique le professeur Cunha. Et, dans le même temps, leurs supé- rieurs font tout pour présenter une image de réussite de leur équipe en affichant des ventes élevées, ce qui peut les pousser à fausser les résultats ». Des chiffres trafiqués ? João Vieira da Cunha précise que « les chiffres communiqués lors du reporting ne correspondent pas à des ventes factices. Il s’agit généralement de commandes bel et bien passées, mais à l’initiative des clients et donc pas directement ‘décrochées’ par un commercial. Ces données dressent alors un portrait de l’efficacité des commerciaux plus flatteur que la réalité. »
Des motivations complexes pour expliquer les fausses informations
« En faisant ces déclarations trompeuses, les employés ne courent pas nécessairement après les récompenses financières, et regrettent au contraire généralement une démarche qui, d’une part prend du temps, et d’autre part est contraire à l’éthique, explique João Vieira da Cunha. Les managers de proximité se plaignent quant à eux de la pression exercée sur eux par des objectifs trop ambitieux ». Et même quand l’objectif est atteint, alors que la tendance à « gonfler » les chiffres devrait normalement s’arrêter, la pression augmente encore parce que la direction décide de revoir à la hausse les objectifs du trimestre suivant. « Membres de la direction générale, managers de proximité et employés participent ainsi collectivement à la création de données mensongères. Personne ne souhaite en arriver là, mais à titre individuel, ils ont le sentiment de ne pas avoir le choix »,
résume le chercheur.
Quand les données biaisées faussent les décisions stratégiques
Problème : le reporting de données erronées peut avoir des conséquences néfastes sur la stratégie de l’entreprise. Lors de son étude réa- lisée pendant 15 mois dans un point de vente de solutions de télécommunications, le professeur Cunha a récolté des informations auprès des employés, des managers de proximité et de la direction générale pour comprendre comment étaient produites puis utilisées les données relatives à la performance commerciale.