« La vanité consiste à vouloir paraître, l’ambition à vouloir être, l’amour propre à croire que l’on est et la fierté à savoir ce que l’on vaut ». Attribuée à l’homme d’état polonais Edward Raczynski, cette citation traduit bien l’ambiguïté du concept de fierté. Car, souvent confondue avec l’orgueil ou l’arrogance, la fierté n’a pas bonne réputation. Levier de motivation individuelle et collective, cette émotion constitue pourtant une composante clé du leadership.
Selon Jessica Tracy, professeur de psychologie à l’université de Colombie Britannique de Vancouver, la fierté est restée longtemps un « non sujet » pour la recherche, les scientifiques n’y voyant qu’une disposition psychologique réservée à certains individus ou un sentiment volatile influencé par l’environnement. Après plusieurs années de recherche menées des Etats-Unis jusqu’au Burkina Faso, Jessica Tracy est toutefois parvenue à démontrer que la fierté est au contraire une émotion universelle à l’instar des six émotions fondamentales que sont la joie, la colère, la tristesse, la peur, le dégoût et la surprise. La fierté est ainsi bien plus qu’un ressenti passager, il s’agit d’un caractère distinctif de la nature humaine. Une émotion particulièrement utile en contexte professionnel, précise la chercheuse, car elle agit comme un accélérateur de performance à la fois individuelle et collective.
Un instinct de compétition sociale qui pousse au dépassement de soi…
La fierté selon Jessica Tracy, est l’émotion – agréable – qui née lorsqu’un individu se sent à la hauteur de l’image qu’il se fait de lui-même et de sa place dans la société. Il s’agit d’un besoin fondamental, un instinct de compétition qui sert à affirmer sa place dans une hiérarchie sociale. Aussi, quand nous ne ressentons pas de fierté, observe Jessica Tracy, nous avons tous tendance à la rechercher. Une quête qui nous motive à avancer, voire à nous dépasser. Le Californien Dean Karnazes illustre parfaitement ce phénomène. En soirée chez des amis, en 1992, il décide sur un coup de tête de rentrer chez lui à petites foulées. 30 km plus tard, le jeune homme arrive à bon port, exalté par son exploit. Depuis, Dean Karnazes n’a eu de cesse que de renouer avec l’émotion qui l’a saisi ce soir-là et n’a plus arrêté de courir, jusqu’à 500 km sans arrêt. Un exploit qui lui a valu le surnom d’ « Ultra-Marathon man ». Comme lui, de nombreux individus repoussent leurs limites pour correspondre à l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. Bill Gates a ainsi passé son adolescence à démonter des composants électroniques et à lire des encyclopédies pour, selon ses propres mots, « devenir l’homme qu’il voulait être ».
… sans pour autant nuire à l’intérêt collectif
Comme les autres émotions fondamentales la fierté n’a pas que des effets psychologiques, elle influe aussi directement sur le métabolisme. L’expression archétypale (même feinte) de la fierté – posture droite, torse gonflé, tête légèrement inclinée vers l’arrière – agit ainsi comme une pompe à testostérone. Les recherches de Jessica Tracy montrent qu’adopter cette attitude permet de prendre des décisions plus audacieuses, rend plus fort physiquement et plus tolérant à la douleur.