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Synthèse

Pas le temps de tout faire ? Déculpabilisez !

Votre vie ressemble à une to-do list géante dont vous ne réussissez plus à cocher toutes les cases ? Cela vous consterne et votre incapacité à tout gérer vous fait culpabiliser ? Pas de panique : relâchez la pression et redécouvrez les vertus oubliées du soi-disant « temps perdu ».

Certaines journées semblent gâchées : obnubilé par tout ce que vous « devez » accomplir, vous vous crispez, perdez votre concentration et repoussez au lendemain. Ce cercle vicieux est renforcé par le travail hybride qui laisse chacun se débattre seul face à un problème qui pourtant ne devrait pas en être un. Car la course effrénée à la productivité fait oublier que procrastiner est un phénomène naturel, qui a son utilité. Si vous vivez votre vie comme un script minuté d’activités à accomplir à la hâte, il est temps de vous recréer un espace de liberté pour reprendre goût à ce que vous faites et redevenir vraiment efficace. 

D’après
I Didn’t Do the Thing Today

I Didn’t Do the Thing Today de Madeleine Dore, (Penguin Random House, 2022).


Relativisez la pression sociale du « faire »  

Notre société survalorise l’activité et mesure lemérite des individus à l’aune de leur productivité. Ledésir de reconnaissance sociale, inné, incite à accumuler les marqueurs du succès : statut, salaire, possessions matérielles. Pour vous sentir heureux et apprécié, vous vous sentez donc « obligé » d’être sans cesse actif. Or, faute de temps, ce qui n’est pas accompli se transforme en anxiété, doute et épuisement.

Le phénomène est accentué par un autre biais contemporain : la volonté de garder toutes les options ouvertes en ne s’engageant jamais pleinement dans un projet1. Dans un monde hyperconnecté où le champ des possibles semble infini, vous restez ainsi en mode « navigation illimitée », surfant constamment d’une activité à l’autre. A la suite du « FOMO » (Fear Of Missing Out), l’auteur et entrepreneur Patrick McGinnis a créé l’acronyme « FOBO » (Fear of Better Options)pour décrire ce refus de choisir qui crée stress, insatisfaction, surcharge et au final blocage de l’action, selon l’adage « trop de choix tue le choix ».

La productivité, volatile par nature, ne se « commande » pas – vous n’êtes pas un robot. Nul ne peut enchainer constamment les activités, même si média et réseaux sociaux montrent le contraire, redoublant ainsi la pression.

En effet, selon la théorie de la comparaison sociale du psychologue Leon Festinger, vous régulez vos opinions, capacités et émotions en fonction de ceux qui vous entourent. Or, si les réseaux sociaux démultiplient les points de comparaison, ils offrent une vision biaisée : vous y assistez à « la vie rêvée des autres », pas à leur réalité. Vos contacts ont, comme vous, leurs jours improductifs – mais ils ne les affichent pas.

Démontez (et surmontez) les croyances qui vous plombent 

Adhérer à une routine ne résout pas les blocages

Suivre un planning détaillé rassure et procure une impression de maîtrise. Mais les routines idéales sont précaires et vouées à l’échec. Certes, structurer vos journées permet de ne pas vous poser de questions en permanence. Ainsi, lorsqu’il était président des Etats-Unis, Barack Obama portait uniquement des costumes bleus et gris afin de ne pas perdre du temps à se décider le matin. Mais agir constamment en « auto-pilote » est épuisant. Pire, le mécanisme de la réactance psychologique peut conduire à l’inverse de ce que vous espérez : si vous vous sentez trop contraint par votre organisation millimétrée, vous allez justement la faire dérailler. Mieux vaut miser sur la souplesse.

Il n’y a pas de « bonnes » et de « mauvaises » décisions

Il est impossible de prévoir les conséquences d’une décision : n’hésitez donc pas trop longtemps lorsque vous êtes amené à trancher ; suivez votre instinct ou vos valeurs au lieu de chercher le choix « raisonnable ». A posteriori, ne perdez pas de temps à regretter la voie que vous n’avez pas empruntée. Mieux vaut vous laisser aller au biais cognitif du « soutien du choix », qui revient à attribuer des qualités positives à l’option choisie, plutôt que vous livrer à vos doutes

Une fois l’obstacle surmonté, tout n’ira pas mieux

En raison du phénomène de l’adaptation hédonique, votre cerveau s’adapte (trop) vite aux circonstances. Dès que vous réglez une situation, il passe aussitôt à la suivante : si votre salaire augmente, vos attentes et vos désirs augmentent de pair, ce qui n’entraîne, au final, aucun mieux-être. La poursuite de l’amélioration est donc sans fin – et le processus de procrastination aussi.

Domptez votre tyran intérieur

Les situations de blocage découlent souvent d’une conception négative de la discipline, basée sur des règles (auto) punitives et une vision rigide de l’obéissance. Vous placez la barre trop haut et si vous n’atteignez pas vos objectifs, au lieu d’ajuster vos attentes, vous vous ajoutez des contraintes. Au lieu de vous surcharger d’impératifs tyranniques, acceptez plutôt que les choses se déroulent rarement comme prévu.

Puis reconsidérez votre approche : la discipline peut aussi être un plaisir et devenir moteur bien plus puissant que la punition. A condition de vous appuyer sur votre motivation intrinsèque (faire ce que vous aimez), qui ne se nourrit pas de récompenses extérieures, contrairement à la motivation extrinsèque. Si vous procrastinez, cherchez en priorité à retrouver du plaisir dans ce que vous faites. Et si tout se déroule bien, sachez vous arrêter à temps afin de conserver votre motivation dans la durée grâce à l’effet Zeigarnik : les tâches laissées inachevées restent plus vives dans votre mémoire jusqu’à ce qu’elles soient totalement accomplies.

Au lieu de viser un idéal paralysant de perfection, déclencheur de procrastination, mieux vaut sauter le pas et enclencher le processus en osant essayer – quitte à vous tromper : mieux vaut fait que parfait.

Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’être expert pour entreprendre. Quel que soit le domaine, vous avez le droit d’être débutant ou hésitant, de tâtonner, de poser des questions. En ce sens, la psychologue Angela Duckworth met en garde les « parfaits fragiles » qui réussissent pendant longtemps avant d’être confrontés à leur premier gros revers, au risque de se retrouver complètement démunis : l’échec, ça s’exerce (et ce n’est pas un drame).

Positivez les « obstacles »

  • Un échec indique que vous avez osé vous lancer.
  • L’incertitude vous pousse à innover.
  • L’ennui est source de réflexion et d’inspiration.
  • La suractivité vous donne de l’élan pour avancer.
  • Un blocage vous incite à prendre un nouveau chemin.
  • Le changement apporte de la variété dans votre vie.
  • Les limites structurent votre créativité.
  • Les comparaisons vous révèlent qui vous êtes vraiment.

Découvrez l’utilité du « temps perdu » 

Le temps passé à effectuer une tâche n’est pas une mesure de la qualité du travail accompli. En moyenne, vous êtes capable chaque jour d’avoir au maximum 3 ou 4 h de concentration optimale. Persister à travailler plus longtemps sur des sujets ardus constituerait donc du pur gaspillage.

A l’instar d’une éponge, vous avez besoin de passer par une phase préalable d’absorption (passive), avant d’entrer dans une phase de restitution (active). Procrastiner n’est donc pas anormal : c’est simplement le signe qu’il vous est nécessaire de rester encore sur pause avant de passer à l’action.

Ainsi, ralentir n’est pas un synonyme de faillite morale mais une condition essentielle pour prendre le temps pour réfléchir : les meilleures idées viennent rarement lors des moments d’activité frénétique. Honorez les deux mouvements du balancier : quand vous avez besoin « d’absorber », élaguez vos activités et laissez la place libre à la rêverie. Quand vient le moment de « presser », remplissez votre agenda d’activités afin de vous donner de l’élan et du sens à votre action.

Certaines phases de ralentissement peuvent s’étendre sur plusieurs années : ces « saisons de vie » dépendent d’événements qui sont rarement en votre contrôle – liés par exemple à votre santé, vos relations ou les circonstances extérieures. Il est inutile (et injuste) de vous blâmer pour un passage à vide personnel ou professionnel. Prenez de la distance avec les ambitions exigeantes et ne cherchez pas à reprendre trop vite le contrôle de la situation – ce serait une forme d’auto-sabotage. Préférez une reprise pas à pas, en vous focalisant sur des projets à court terme… et vous donnant du temps.

Embrassez un nouveau style de vie

La conception actuelle de la performance, réductrice et toxique, exige d’être révisée. La productivité ne se construit pas sur une (sur)activité frénétique, elle passe aussi par votre qualité de vie et votre équilibre global (relations, santé, loisirs). En cas de blocage, le meilleur ajustement consiste souvent à abandonner certains projets en cours.  Vous avez « le droit » de ne pas achever un livre peu passionnant, d’arrêter d’écrire un rapport abscond, de quitter un emploi qui vous déplait. Vous vous sentirez délivré et serez in fine plus efficace : d’autres occupations plus adaptées à vos envies prendront naturellement la place vacante. Stopper aide à relativiser, redonne de la clarté et du plaisir, vous « réinitialise ». S’il ne vous est pas possible de supprimer certaines tâches, évitez au moins d’en ajouter davantage sur votre liste.

Au même titre que la productivité, l’ambition est à entendre au sens large : elle ne signifie pas uniquement viser haut professionnellement, mais aussi dégager du temps pour poursuivre une passion, une activité créative ou cultiver des relations de qualité. Selon le psychiatre Robert Waldinger, directeur de la Harvard Study of Adult Development, la plus longue étude jamais réalisée sur le bonheur2, ce sont « les bonnes relations qui nous rendent plus heureux et en meilleure santé » : elles épanouissent plus que le succès professionnel et matériel.

En visualisant votre ambition personnelle comme une montagne à gravir progressivement, avec des moments de pauses et d’accélération, vous aurez une bonne boussole pour vous orienter au quotidien, dépasser les moments de blocage et résister à la tentation d’en faire toujours plus pour répondre aux attentes extérieures.Vous pourrez aussi corriger votre course en marchant, en ayant conscience que vous n’atteindrez jamais le sommet – mais que cela n’a aucune importance, car la beauté réside aussi (surtout) dans le cheminement.


A Retenir

  • La survalorisation de l’activité, mesure ultime de la performance individuelle, fait oublier que la procrastination est un mécanisme normal et nécessaire pour avancer.
  • Les plannings très détaillés et les disciplines trop contraignantes risquent de vous piéger dans une spirale d’injonctions irréalistes, culpabilisantes et in fine bloquantes.
  • Relativiser les attentes et pressions extérieures est indispensable pour ré-apprendre à prendre votre temps et vous concentrer sur ce qui vous inspire.

  1. Voir notre dossier « Est-il si difficile de s’impliquer à long terme ? », d’après Dedicated, the Case for Commitment in an Age of Infinite Browsing, par Pete Davis, (Simon & Schuster, 2021) – BD31503, Septembre 2021
  2. En cours depuis 1942.

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